Un article intéressant sur l’art-thérapie

Voici un article intéressant sur l’art-thérapie.  L’article a été copié tel quel. Aucune modification n’y a été apportée. Merci à l’auteur Jean-Pierre Royol. Il est extrait du site « OASIS MAG – www.travail-social.com », et plus précisément de l’adresse URL suivante : https://www.travail-social.com/L-art-therapie-c-est-prendre-sa?fbclid=IwAR3AWi15s-D37KyoV5w0V9W33BMXjoVl6NwkTQrqJYbrbxZPL_ghsygCVYQ

Bonne lecture !

« Lundi 20 février 2006
L’art-thérapie c’est prendre sa parole en main !
par Jean-Pierre ROYOL

« Tant que nous ne serons parvenus à supprimer aucune des causes du désespoir humain, nous n’aurons pas le droit d’essayer de supprimer les moyens par lesquels l’homme essaie de se décrasser du désespoir. » Artaud parle ici de la drogue, pour ma part, je parlerai d’Art-thérapie.

Utilisée dans le champ du soin et de la prévention, l’Art-thérapie est une méthode qui consiste à créer les conditions favorables à l’expression et au dépassement des difficultés personnelles par le biais d’une stimulation des capacités créatrices. Elle trouve sa place dans le cadre des troubles dépressifs et psychosomatiques, des conduites addictives, des problématiques alimentaires mais aussi dans celui de pathologies plus sévères comme les psychoses et l’autisme. Aujourd’hui, nombreux sont les services de psychiatrie publics ou privés qui lui font appel.

Dans le domaine de la prévention elle peut permettre, par exemple, que la violence cesse de prendre pour cible le corps de l’autre ou celui du sujet lui-même, lorsqu’elle peut enfin se traduire en langage artistique.

Soulignons tout de suite qu’un pouvoir politique ne tenant pas compte de cette évidence ne devra pas s’étonner de voir se développer des comportements violemment asociaux.

Curieusement, cette violence qui ne cesse de faire la une de nos quotidiens est trop souvent entendue comme déficit de l’intégration sociale alors qu’il est clair qu’elle résulte d’une hyper adaptation à un discours dominant qui conduit à un effacement de l’expression subjective.

Grâce à l’ Art-thérapie, cette forme de travail de désocialisation, de désintoxication à l’égard du discours dominant peut passer par un retour aux racines des processus de subjectivation via le travail avec les matières brutes comme l’argile, le plâtre, la pâte colorée, le textile… enfin tout ce qui peut constituer le sol d’un projet.

C’est ainsi que le sujet peut repartir de son empreinte « digitale ».

Le fait d’utiliser l’expression : « Art-thérapie » présuppose que l’on ne confonde pas, de manière naïve, ces deux termes : « art » et « thérapie », et que, partant de cette séparation assumée, l’on envisage la possibilité d’un tissage de liens justement créatifs. Chacun des domaines est la limite de l’autre puisque l’Art, même s’il cherche à montrer, n’a rien à démontrer et c’est son luxe quand la psychologie dépose les armes devant la beauté.

Il n’y aurait à convertir l’Art en Psychologie ou la Psychologie en Art que manoeuvre hystérique ! Jamais l’un ne remplacera l’autre sauf à se cantonner dans une galerie des glaces comme monde de la pure illusion dominé par les sensations en lieu et place du sens.

La psychologie, pour sa part, devrait cesser définitivement de « psychologiser » l’Art en le considérant comme ultime compensation ou refuge d’un sujet épouvanté devant la réalité ou rongé par son incapacité à mordre dans l’objet de son désir.

Dans le champ de l’Art-thérapie, l’Art peut être entendu aux racines – mêmes de ses origines latines dans la mesure où il engage le sujet du coté de l’ « ars », c’est-à-dire de ce « savoir-faire » qui n’est pas sans évoquer le « savoir y faire avec le symptôme », manière de lui rendre la parole en le débarrassant de sa fonction persécutrice. Loin de viser la surchauffe du plaisir poussant du côté de la jouissance, l’Art – thérapie se propose de conduire le sujet à « prendre sa parole en main » à travers la mise en formes de sa souffrance comme matière première.

La souffrance lorsqu’elle est représentée, extériorisée par le biais de la création est en quelque sorte mise à distance et ne colle plus à la peau sous forme de symptôme corporel. Le patient peut progressivement la considérer comme un objet extérieur, lui parler et la hisser au rang d’objet de communication. Une souffrance communiquée est déjà moins douloureuse puisqu’elle emprunte des circuits plus longs permettant de la relater en la relativisant, permettant aussi qu’elle se décharge en chemin de sa vérité persécutrice. On utilise d’ailleurs le terme : « souffrance » lorsque l’on parle d’une lettre en attente d’un destinataire.

Ce qui souffre est l’impatience d’un impossible à former c’est à dire à formuler.

La souffrance est le plus souvent masquée par les discours défensifs au sein desquels le sujet oscille du trésor au déchet. Reconnaître un sujet, c’est entendre et reconnaître la souffrance qu’il exprime quels que soient les moyens dont il dispose. C’est bien le statut de la souffrance, le statut du « mal à dire » qui est en question dans la psychopathologie et ce mal risque toujours de se passer du souffrant qui ne cesse de le subir tant qu’il ne lui donne pas corps au lieu de lui donner le sien.

L’activité de représentation permet d’atténuer les contenus douloureux incrustés dans la chair. « On n’a jamais écrit ou peint, sculpté, modelé, construit, que pour sortir de l’enfer », écrivait Antonin Artaud. Or cette capacité à représenter ou à symboliser, nous pourrions dire : à universaliser la douleur, peut se trouver paralysée par des injonctions persécutrices intériorisées et c’est d’abord au franchissement de cet obstacle que peut conduire l’Art – thérapie.

Dans le champ de la psychose, la souffrance est liée à l’envahissement du sujet par l’ Autre persécuteur et c’est bien pour tenter de se défaire de positions violemment persécutrices, que nous en revenons à la matière et que nous accompagnons le psychotique dans la plus grande discrétion. Il arrive même que nous travaillions ensemble sans s’imposer en une forme que j’appellerais volontiers la « dis-création ».

Certaines thérapies se cantonnent à l’échange strictement verbal, or nous savons que les mots sont parfois d’emblée trop difficiles à émettre, à manier et peuvent même être vécus comme des mines toujours prêtes à sauter. Pour certains, le fait même de lâcher un mot, si celui-ci est cru, revient à se séparer violemment d’un bout de corps et l’on comprend aisément que cette prudence doit éveiller la nôtre. Je pense à un patient qui avait peur de s’endormir car il avait peur de parler en dormant, peur de révéler ce qu’il appelait sa « faute ». Cette peur était plus forte que tous les somnifères qui lui avaient été prescrits et qu’il avalait disait-il : « comme du petit lait ».

Par ailleurs, nombre de souffrances trouvent leurs racines dans les vécus somatiques qui précédent la pratique du langage parlé qui s’alimente à la source des expériences corporelles.

L’Art-thérapie, via le travail avec la matière que nous pouvons entendre ici comme : « l’amas-tiers », mobilise ce premier noyau organisateur et permet de dédramatiser ces sensations archaïques dans une mise en représentation ludique soutenue par le thérapeute. L’objet de la souffrance est toujours capable de devenir l’ « objeu » de Francis Ponge.

Travailler avec la matière, c’est aussi une manière de rompre avec la toute-puissance du vu et si le corps est sollicité, il ne s’agit pas, à proprement parler, d’une thérapie corporelle car entre le corps du patient et celui du thérapeute demeure toujours un espace préservé dans lequel se développe l’objet de création. C’est cet objet qui sert de motif, de pré-texte à la rencontre et permet que des éléments inconscients transitent entre les deux acteurs de la thérapie.

On ne fait pas une Art-thérapie pour devenir artiste comme on ne fait pas une psychanalyse pour devenir psychanalyste mais il est vrai que certains patients prennent goût à la création et participent à des expositions d’oeuvres qui ne sont pas produites en séance mais chez eux.

Cette forme de thérapie débouche assez souvent sur un changement de position dans le lien social, le passage du rôle de spectateur victimisé à celui d’acteur capable de bricolages vitaux qui ne se limite plus à servir fidèlement la jouissance de l’autre. Ce goût apparaît même parfois chez des personnes persuadées d’une profonde incompétence et qui finissent par trouver confiance en leurs capacités. »